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dossier video (partie 1)
film amateur : du super 8 à la vidéo
ou l'érosion d'une sensibilité cinématographique
par
nicolas
renaud
juin 2002
une
chaîne de la télévision belge diffusait
l'hiver dernier, en fin de soirée, une collection
de films de familles. ces documents dataient des années
50 jusqu'au milieu des années 80, donc principalement
sur pellicule 8 mm ou super 8 et, parmi les plus récents,
quelques-uns marquaient l'apparition plus courante des
caméras vidéo dans les foyers. ayant vu
un épisode de ces "home movies", un
ami avait dit, sans plus d'explication : "ce qui
ma frappé, c'est qu'en général
les images amateures cessent d'être intéressantes
avec l'arrivée de la vidéo". voulant
aborder une réflexion critique sur la vidéo,
cette phrase m'est revenue en tête. et pourquoi
les images vidéo seraient-elles moins intéressantes?
évidemment
l'image film possède une force de séduction
particulière qui lui vient de la lumière,
des couleurs, du grain et du mouvement qui lui est propre.
elle est aussi beaucoup plus apte à la composition
de plans en profondeur, alors que l'image vidéo,
de plus faible résolution, donne toujours l'impression
d'un aplat. sur film, une coupe entre deux plans garde
la justesse rythmique d'un clignement des yeux, elle
est un infime espace vide entre deux pulsions de lumière.
une coupe en vidéo est plus molle, plus lourde,
comme si ça débordait des deux cotés,
elle ne rencontre pas le rythme interne de l'il
avec la même finesse. par contre la vidéo
enregistre mieux le mouvement rapide (à 29.97
i/sec. en système nord-américain ntsc),
tandis que l'image se brouille en super 8 quand la pellicule
(18 ou 24 i/sec.) doit saisir un tel mouvement ou que
la caméra bouge trop vite. en même temps,
ceci incite la personne qui filme en super 8 à
mieux regarder, à suivre plus lentement le mouvement
des choses plutôt qu'à se déplacer
dans tous les sens.
voilà
donc quelques particularités visuelles, mais
en comparant attentivement des films et des bandes vidéo
amateurs, nous devons admettre des différences
d'un autre ordre, au-delà de la texture de l'image.
les gens ne filment pas la même chose selon le
médium utilisé. il faut considérer
en quoi un médium et ses attributs peut aussi
influencer ce que les gens choisissent de filmer et
la manière dont ils le font.
avec
le super 8, le cinéaste amateur doit comprendre
les données de base de la photographie, il ne
voit pas ce qui s'imprime sur la pellicule et doit s'assurer
que l'ouverture du diaphragme est en mesure de capter
la lumière ; il se demande "si ça
va sortir". il doit porter sa main à la
lentille pour faire le foyer, n'étant pas servi
par la mise au point automatique dont les gens disposent
sur leur caméscope. avec le film, il ne s'agit
pas seulement de voir, mais d'intégrer une conscience
sommaire de ce qui fait voir et d'y ajuster la caméra,
de lier la prise de vue à certains gestes qui
définissent l'image. les moments choisis pour
être immortalisés doivent donc au moins
se trouver dans des conditions de lumière satisfaisantes
pour la pellicule, il y a déjà là
un principe de sélection plus rigoureux de la
réalité traduisible en images, alors qu'en
vidéo on peut promener la caméra dans
l'espace, laquelle fait une moyenne des calculs d'éclairage
sur tout ce qu'on voit, et ce qu'on regarde dans le
viseur se retrouvera de façon identique sur la
bande. un surplus d'images se formule souvent en un
surplus de réalité filmée, dont
une part n'a pas la force de revivre dans une image
qui vaut la peine d'être vue. l'arrivée
des petits écrans lcd qui s'ouvrent sur le côté
des caméras vidéo, permettant de voir
ce que l'on cadre, même si l'appareil est tenu
à distance de l'il, est aussi susceptible
de changer les données de la prise de vue. en
tournant une image avec une caméra super 8, on
garde l'il rivé au viseur, attentif uniquement
à tout ce qui occupe le cadre. l'écran
ajustable sur le côté permet en revanche
une plus grande liberté de mouvement et de nouveaux
points de vue.
transposé
en situation documentaire, cet outil peut tout autant
influencer le tournage. il représente la matérialisation
technique d'une approche au tournage qu'avaient exercée
les opérateurs du cinéma direct dans les
années soixante, c'est-à-dire de garder
bien ouvert l'il qui n'est pas collé au
viseur, afin d'obtenir une vue d'ensemble de la situation
documentée et d'être prêt à
recadrer. cet écran permet aussi d'offrir son
visage à un interlocuteur en même temps
qu'on tourne, afin de détourner ses yeux de la
caméra. toutefois, on peut déjà
remarquer, dans certains documentaires réalisés
avec des caméras dv légères, que
l'écran lcd participe à l'appauvrissement
de la qualité formelle du cadrage, voire, paradoxalement,
à la dégradation de l'engagement envers
le sujet filmé. c'est que le regard tous azimuts
auquel incite l'appareil peut donner l'illusion de s'immiscer
réellement dans une situation, les yeux ouverts
et l'objectif mobile dans la main, se croire un capteur
d'images qui "voyage léger" dans la
réalité. mais le cadrage souffre alors
d'un déficit d'attention. en en négligeant
le rôle, on risque de faire primer le fait "d'être
là" sur la ressponsabilité de créer
une image qui rend compte d'une réalité
vécue. car de choisir une portion de la réalité
dans un cadrage, d'arrêter le regard sur des éléments
particuliers et d'y imposer le langage des images sont
des mises en condition qui impliquent peut-être
davantage le cinéaste dans la situation, c'est
une main portée à la matière du
réel et qui cherche à la faire parler.
le cinéma direct (et toute autre forme accomplie
du documentaire) était après tout un cinéma
de la "photographie composée" et non
l'agitation nerveuse d'une caméra toujours en
dérive (signe des temps ?)
un
point crucial de la distinction entre les deux médiums
est la dimension temporelle qu'implique l'acte de filmer.
on évite le montage en super 8, une fois le filmrevenu
du laboratoire, puisque la pellicule est très
petite, difficile à manipuler, et qu'une coupe
ne passe pas bien dans le projecteur. aussi la pellicule
est comptée, courte (une bobine de super 8 dure
un maximum de 3 min.) et on ne peut rembobiner pour
effacer ou mieux opérer une transition. ceci
fait en sorte que le moment filmé doit avoir
une certaine valeur pour le cinéaste,
qu'il filme avec le désir de capter ce moment
en particulier et avec une pensée de l'image
en mouvement ; le cadrage d'un plan et le début
et la fin du plan. une ébauche consciente du
montage se fait dans la caméra, donc toute la
syntaxe du langage cinématographique est impliquée
dans un même geste. qu'on regarde un simple film
de mariage en super 8, ou bien le classique film de
noël, avec les enfants déballant leurs cadeaux
autour de l'arbre, et on perçoit quand même
l'ébauche d'un rythme, d'une structure et l'empreinte
d'un sentiment. car la personne qui filme regarde une
chose, décide de filmer, mesurant une certaine
durée du plan, puis se déplace ou choisit
un autre sujet, fait un plan qui s'enchaîne au
précédent et ainsi de suite. par contre,
en vidéo, l'image n'a plus la même valeur,
on laisse tourner la caméra, le cadre est approximatif,
c'est en captant tout qu'on espère obtenir les
bons moments et puis, professionnelle ou amateure, toute
séquence vidéo peut facilement être
corrigée ou modifiée au montage. godard
a dit : "la seule question vraiment fondamentale
dans le cinéma, c'est où, et quand commencer
un plan, et où finir un plan", proposition
qui demeure particulièrement pertinente au film
super 8, ce qui ne veut pas dire que la vidéo
ne peut aussi être "du cinéma".
c'est
ainsi que dans un film amateur de voyage par exemple,
le super 8 peut souvent témoigner de la mémoire,
de la perception et de l'affectivité de la personne
qui filmait, les moments où elle a décidé
d'enclencher et d'arrêter la caméra. mais
avec la vidéo, quelle épreuve pénible
que de visionner la bande qui retrace un voyage, du
pas de la porte le jour du départ et jusqu'au
retour. et point de cadrage, mais des balayages sur
les sites visités, un accompagnement continu.
dans les deux cas, la présence à la réalité
filmée n'était pas du même ordre,
les images diffèrent d'un médium à
l'autre, pas seulement à cause des textures,
mais aussi parce qu'à leur origine elles ne sont
pas venues occuper le même espace dans l'esprit
de la personne tenant la caméra.
l'objectif
ici n'est pas d'établir une hiérarchie
des médiums, proposition absurde et inutile,
puisque la vidéo existe avec toutes ses possibilités,
mais d'entrevoir les gestes et idées que le médium
peut induire, ce que son utilisation instille comme
conditions physiques, mentales et perceptives chez l'individu
qui conçoit une image, des conditions qui ne
peuvent être étrangères au manque
d'intérêt de nombre d'images vidéographiques
en comparaison aux images sur pellicule. on pourrait
dire qu'en général, les conditions énoncées
pour le film constituent des "difficultés",
à la confrontation desquelles on accentue l'engagement
envers l'image, alors que les conditions d'utilisation
de la vidéo relèvent de la "facilité".
ce qui est en jeu n'est pas le dénigrement de
la vidéo, mais la nature de l'engagement dans
la réalité filmée et dans la fabrication
de l'image. ultimement, il est question du danger d'érosion
de la sensibilité à l'image.
le
prochain texte discutera des possibilités esthéthiques
propres à la vidéo et de sa profusion
démesurée dans le monde des arts.
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